SPORT ET CYCLE MENSTRUEL
Les règles et le sport, c’est le sujet du moment car :
1. Les JO de Paris arrivent à grands pas.
2. Les sportives en parlent de plus en plus.
3. Les clubs commencent à se pencher sur la question.
Le lien entre le sport et le cycle menstruel est un sujet qui fait de plus en plus parler de lui, et pour cause ; les différentes phases du cycle influencent l'endurance, la force et le risque de blessure.
⭐ Ces différents paramètres sont essentiels dans l’optimisation des programmes d'entraînement et de récupération.
Cet article explore les connaissances actuelles sur la manière dont le cycle menstruel affecte les athlètes, les contradictions dans les études, et les défis liés à l'individualisation des protocoles d'entraînement.
En outre, il souligne l'importance de l'éducation des sportives sur la gestion de leur cycle et les efforts croissants des clubs et des institutions pour financer des recherches approfondies.
➜ En adoptant une approche personnalisée, nous pouvons espérer réduire les risques de blessure et améliorer la performance et le bien-être des athlètes de haut niveau.
■ LE CYCLE MENSTRUEL SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE DES RÉSEAUX SOCIAUX
La vidéo de la nageuse chinoise Fu Yuanhui est devenue une référence !
Lors des Jeux olympiques de Rio en 2016, cette nageuse chinoise a fait sensation en révélant avoir ses règles et souffrir de douleurs au ventre pour expliquer sa contre-performance au relais 4 x 100 mètres. Lors de son interview, elle a déclaré : "Mes règles ont commencé hier, et j'étais particulièrement fatiguée." Déçue de sa performance, elle a ajouté : "Je ne crois pas avoir été bonne aujourd'hui, j'ai l'impression d'avoir trahi la confiance de mes coéquipières.".
Cette vidéo a rapidement fait le tour des réseaux sociaux, brisant un tabou majeur : celui des règles et, plus globalement, du cycle menstruel dans le sport féminin.
Autre exemple, celui d’Emma Pallant-Browne, championne britannique de triathlon, qui s’est vue critiquée suite au partage d’une photo sur Instagram en mai 2023 où sa tenue était tâchée de sang à l’entre-jambe. Elle répond : “Merci de vous en soucier, mais c’est quelque chose dont je n’ai pas honte de parler parce que c’est la réalité des femmes dans le sport.” Une réaction qui buzzera elle aussi sur les réseaux sociaux.
On le sait, les hormones sexuelles ont un impact sur les muscles, les tendons, les ligaments, et les os. Pourtant, les femmes semblent être entraînées encore trop souvent aujourd’hui comme des "petits hommes".
🤔 Connaissons-nous réellement les spécificités de l’athlète féminine ? Savons-nous comment optimiser la performance en fonction du cycle menstruel ? Faisons ensemble l’état des lieux !
Remarque : J’ai eu la chance d’être conviée au colloque sur le football féminin à Clairefontaine le 19 février 2024. Une journée initiée par la Fédération Française de Football avec comme ligne rouge : Innover et accompagner la performance dans le football féminin.
✏️ Dans cet article, j’ai décidé de vous faire un focus sur les recherches réalisées sur les footballeuses professionnelles et les actions mises en place dans certains clubs français et étrangers.
■ LE SEX DATA GAP
➜ Aujourd’hui, seuls 9% des études récentes (entre 2017 et 2021) ont été exclusivement réalisées sur les femmes contre 71% exclusivement sur les hommes et 20% sur les deux sexes.
(Source : Inequalities in the Evaluation of Male Versus Female Athletes in Sports Medicine Research: A Systematic Review, 2022.)
Etant donné que nous manquons de recherche, nous manquons de données ! Par conséquent, la majorité des recommandations, que ce soit en méthodologie d'entraînement, en récupération ou encore en nutrition sont basées sur la physiologie masculine.
Pourtant, les femmes ont leurs propres spécificités. En voici quelques unes :
Les femmes ont moins d’élasticité abarticulaire. Cela entraîne un déficit de rebond-explosivité-saut.
A poids égal, les femmes ont plus de masse grasse et moins de masse musculaire que les hommes.
Les femmes ont moins de fibres de type II et plus de fibres de type I (oxydatives).
(Source : Présentation d’Emmanuel Orhant lors de la journée dédiée au Football Féminin à Clairefontaine par la Fédération Française de Football. Médecin du sport, directeur médical de la Fédération Française de Football et membre de la commission médicale de l’UEFA. Traumatologie et stratégie de prévention des blessures chez la footballeuse.)
■ PRISE DE CONSCIENCE ET DÉBUT DU “CYCLE SYNCING”
Même si les données restent rares, on voit naître un intérêt pour la compréhension du cycle au sein des organisations professionnelles. Et ça, c’est une super nouvelle !
Voici plusieurs exemples majeurs de monitoring du cycle dans des clubs de foot :
⚽ Exemple 1 : En 2017, Chelsea devient la première équipe de foot féminine à monitorer le cycle menstruel de ses joueuses de manière quotidienne.
Anna Hayes, entraineure indique dans une interview du Telegraph : “Le point de départ est que nous sommes des femmes et que, en fin de compte, nous vivons chaque mois quelque chose de très différent des hommes.”
Elle continue : “Pendant trop longtemps, les équipes féminines ont été entraînées de la même manière que leurs homologues masculins, ce qui signifiait que leurs performances n'étaient pas optimisées.”.
Dans une autre interview, cette fois-ci pour l’Independant, l’entraineure indique : “Ces joueuses vont constituer la première génération de femmes bien informées sur leur cycle menstruel et elles vont diffuser ces connaissances aussi loin que possible, et nous espérons que cela deviendra une culture dans tous les clubs de football du monde.”.
⚽ Exemple 2 : En 2019, l’équipe américaine féminine de football prépare la coupe du monde en adaptant les entraînements au cycle menstruel des joueuses. Elles deviennent championnes du monde.
Pour optimiser les performances des joueuses, l’entraîneure Dawn Scott et la chercheure Dr Georgie Bruinvels ont demandé aux joueuses de remplir des questionnaires détaillés sur leurs cycles : combien de temps il dure, quels symptômes elles ressentent avant et pendant les règles et comment ça impacte leur jeu. Le Dr Bruinvels a ensuite analysé tout ça et a créé un profil sur mesure pour chaque joueuse. Ces profils ont permis à Dawn Scott et à l'équipe médicale de l'USWNT de suivre les cycles menstruels de chaque joueuse. Grâce à cette approche ultra personnalisée, elles ont pu ajuster les entraînements et les soins en fonction des besoins spécifiques de chaque athlète, maximisant ainsi leurs chances de performer.
⚽ Exemple 3 : L'Angleterre se met à faire du Cycle Syncing avec ses joueuses en 2020. Elles sont finalistes de la coupe du monde en 2023.
⚠️ Attention, même si les équipes précédemment citées se penchent sur la question et performent, je ne fais pas de raccourci. Je ne vous dis pas que suivre son cycle permet de gagner des titres à coup sûr.
En revanche, avec une meilleure connaissance du cycle on peut mettre en place un entraînement plus adapté et favoriser une meilleure récupération.
Les clubs français s’y mettent aussi. Depuis cette saison, l’équipe féminine de l’Olympique Lyonnais est équipée de bagues intelligentes pour suivre différents biomarqueurs et le Paris FC participe à la recherche Empow’her menée à l’INSEP et dirigiée par Juliana Antero ayant pour principal objectif de “maximiser les performances des athlètes féminines élites en optimisant leurs réponses à l'entraînement par des charges de travail adaptées en synergie avec leur physiologie et leur cycle menstruel.”
■ LE CYCLE MENSTRUEL, PETIT RAPPEL
Le cycle menstruel rythme la vie des femmes de la puberté à la ménopause. Il se compose de deux phases : la phase folliculaire et la phase lutéale, séparées par l’ovulation.
Au cours d’un cycle menstruel typique, plusieurs variations hormonales ont lieu.
On peut diviser le cycle en 4 sous-phases :
1️⃣ Début de la phase folliculaire
Le premier jour du cycle correspond au premier jour des règles.
Les hormones sexuelles (les oestrogènes et la progestérone) sont basses. Les œstrogènes augmentent progressivement.
2️⃣ Milieu et fin de la phase folliculaire
En se rapprochant de l’ovulation, les œstrogènes augmentent drastiquement jusqu’à atteindre un seuil qui déclenche une réponse hormonale qui provoque l’ovulation.
3️⃣ Début et milieu de la phase lutéale
Les taux d’œstrogènes chutent brutalement puis les taux de progestérone et d’œstrogènes augmentent progressivement.
La progestérone est alors l’hormone sexuelle dominante.
4️⃣ Fin de la phase lutéale (aussi appelée : période prémenstruelle)
Les taux d’œstrogènes et de progestérone diminuent progressivement.
Les règles arrivent et un nouveau cycle commence.
➜ Un cycle menstruel est considéré “normal” lorsqu’il dure entre 23 et 35 jours et que la phase lutéale dure entre 12 et 16 jours. Si cette phase dure moins, on parlera de déficience de corps jaune, si elle dure plus, c’est qu’il y a certainement grossesse.
La première phase du cycle est celle qui peut varier grandement. L’ovulation peut être retardée. C’est la raison pour laquelle une femme peut avoir l’impression d’avoir un “retard de règles”. En réalité, les règles ne sont pas en retard, c’est plutôt l’ovulation qui est arrivée plus tard (en dehors des cas de grossesse).
⚠️ J’en profite aussi pour rappeler que les symptômes de SPM (Syndrome pré-menstruel) comme la fatigue, la baisse de moral, les crises d'anxiété, les maux de tête, les poussées d’acné ainsi que les règles douloureuses accompagnées de crampes et de saignements abondants, ou encore l’absence de règles doivent toujours motiver une consultation médicale et être investigués (que vous soyez sportives ou non !).
Bien entendu, lorsque les symptômes de ce type sont présents, on comprend qu’ils impactent la performance. Et si le cycle menstruel, même “silencieux”, sans désagrément particulièrement visible, avait aussi un impact sur la performance ? C’est la grande question !
■ VARIATIONS HORMONALES ET PERFORMANCES
Aujourd’hui, la recherche de la performance et l’optimisation du bien-être sont au cœur des préoccupations. On cherche à éviter les blessures récurrentes liées à un sport comme celles au niveau des muscles et des ligaments des membres inférieurs dans le football, du fait des contraintes de vitesse de d’appuis. On cherche à pousser le corps tout en préparant le mental.
Un indicateur parlant est celui du volume de staff grandissant. L’Olympique Lyonnais compte par exemple 16 membres de staff pour 28 joueuses. On y retrouve des nutritionnistes ou encore une responsable d’intégration et de cohésion en plus des kinésithérapeutes et des médecins.
L’intelligence artificielle et la Femtech ont aussi fait leur entrée avec le tracking de différents biomarqueurs grâce à l’utilisation d’une bague connectée sur toutes les joueuses de l’équipe, et ce 24h/24, 7j/7 depuis la rentrée 2023.
Les outils sont là, il existe des méthodes d’observation du cycle comme la Symptothermie qui permettent de le suivre avec précision, le nombre d’instructrices certifiées (comme moi) se multiplie, on dispose de thermomètres précis et connectés pour suivre la température basale et des outils d’auto-observation comme Ciclomi font leur apparition ; mais sait-on proposer des protocoles d'entraînement et de récupération aussi pertinents que pour les hommes, aux femmes ?
En effet, ces méthodes d’observation du cycle sont aujourd’hui principalement utilisées à but contraceptif ou pour maximiser ses chances de concevoir mais permettent-elles d’adapter les protocoles d'entraînement pour augmenter la performance, maximiser le bien-être et limiter les blessures ?
■ RÉSULTATS DE RECHERCHE CONTRADICTOIRES
Les hormones sexuelles jouent un rôle crucial dans de nombreux systèmes psychologiques, biomécaniques et physiologiques. En conséquence, le cycle menstruel a un impact sur la santé, le bien-être et les performances des sportives de haut niveau.
Depuis quelques années, plusieurs équipes de recherche se sont penchées sur le sujet mais les résultats sont fortement contradictoires !
1️⃣ Une étude publiée en 2024, réalisée auprès de 26 footballeuses professionnelles sur 3 saisons a révélé que “Le risque de blessure est significativement élevé pendant la phase lutéale du cycle menstruel chez les footballeuses professionnelles d'élite.”
2️⃣ A l’inverse, une étude publiée en 2021, réalisée auprès de 179 joueuses sur 2 saisons consécutives a fait le constat suivant : “191 blessures ont été signalées au cours des deux saisons. L'incidence des blessures était de 30,63 jours pendant la phase folliculaire, de 23,6 jours pendant la phase ovulatoire et de 17,59 jours pendant la phase lutéale, ce qui montre une incidence plus élevée pendant la phase folliculaire.”
3️⃣ Une revue systématique publiée en 2007 montre que les athlètes féminines peuvent être plus prédisposées aux lésions du ligament croisé antérieur pendant la phase folliculaire du cycle menstruel.
Cette étude est intéressante car la laxité ligamentaire varie au cours du cycle menstruel. De plus, les femmes ont une laxité ligamentaire plus importante que celle des hommes. Ainsi, il y a déjà de par cette spécificité, une manière de s'entraîner à adapter (travail de renforcement musculaire et de proprioception par exemple).
Au-delà des blessures, il y a des indicateurs de bien-être et de performance qu’il est intéressant d’étudier. C’est notamment ce que réalise en ce moment Juliana Antero et son équipe au sein du projet Empow’her.
De premiers constats ont pu être partagés ; notamment celui-ci : Plus il y a de symptômes (crampes, fatigue, etc.), moins les joueuses parcourent des distances avec de la haute intensité. Cette observation a pu être faite grâce aux GPS utilisés sur le Paris Football Club. Il y a un écart de 15 à 20% entre la “meilleure phase” et la “moins bonne phase” (menstruation).
Sur ce coup là, les études semblent être raccord car la thèse de Pierre-Hugues Igonin sur l’“Impact du cycle menstruel sur la performance physique dans le football féminin” soutenue le 05/10/2023 montre aussi moins d’intensité au moment des règles.
Pour finir, il y a aussi des retours informels du terrain. Dans un article de Good Morning America de 2019 l’entraîneure Dawn Scott indique : "Pour certaines joueuses, j'ai toujours remarqué que juste avant le début de leur cycle, leur fatigue de récupération augmentait et qu'elles dormaient moins.".
☝️ L’article souligne que si l’entraîneure a hésité à approfondir le suivi des cycles menstruels au cours des années passées, c’est en partie parce qu’elle ne savait pas comment adapter ce suivi à chacune des 23 joueuses de l’équipe.
Dr Richard Beckerman, président du département d'obstétrique et de gynécologie du Sibley Memorial Hospital à Washington, D.C.ajoute : "Nous savons qu'à certains moments du cycle, les femmes ont moins de facilité à dormir et ont des habitudes alimentaires différentes. Mais de la même manière que nous constatons que les gens sont affectés différemment par différentes choses, cela peut être très variable.”
EN BREF
➜ Aujourd'hui, il est établi que les sportives ont une capacité d'intensité réduite pendant leurs règles.
En ce qui concerne le lien entre la phase du cycle et les risques de blessure, les études présentent des résultats très contradictoires.
Sur le plan du bien-être, le cycle menstruel semble avoir un impact significatif. Cependant, cet impact varie considérablement d'une personne à l'autre et même au sein d'un groupe, rendant difficile l'élaboration d'un protocole standardisé.
En conclusion, il est essentiel de poursuivre les recherches pour mieux comprendre comment le cycle menstruel affecte le risque de blessure chez les sportives de haut niveau et pour développer des protocoles d'entraînement et de récupération personnalisés. Cela permettrait de réduire les risques de blessure et d'optimiser le bien-être des athlètes. Reste à savoir comment…
Il reste encore un long chemin à parcourir, mais en attendant, il est possible d’accompagner les joueuses dans le suivi et la compréhension de leur cycle afin d'adapter leur mode d'entraînement et leur récupération au cas par cas. Bien que cela complexifie les choses en nécessitant une individualisation des protocoles, le rapport bénéfices/risques pourrait être largement favorable.
On a hâte d’en savoir plus ! Pour le moment, on peut se réjouir du fait que les clubs s’emparent du sujet et que les financements se multiplient.
★ APPRENDRE À SUIVRE SON CYCLE MENSTRUEL
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